Quand la sismique rejoint l’hydrologie

Analyser et caractériser les flux et les échanges d’eaux dans un bassin tel que celui de la Seine n’est pas une mince affaire. A partir de données relevées sur le terrain, les chercheurs en hydrogéologie doivent en effet composer des modèles. Le principe est de relever les niveaux d’eau grâce à des piézomètres, disposés en différents point d’un bassin, pour ensuite dresser un portrait des flux et des masses d’eau de la zone par interpolation. Au PIREN-Seine c’est l’équipe du laboratoire Géosciences de l’Ecole des MINES ParisTech, emmenée par Agnès Rivière, qui s’occupe de cette modélisation.

Si cette méthodologie permet d’obtenir des résultats  précis, elle peut également atteindre ses limites si les données ne sont pas suffisamment nombreuses pour caractériser correctement le milieu. Lors d’une campagne de relevés en 2016 sur le bassin versant du Ru des Avenelles, petite rivière de Seine-et-Marne, les chercheurs de l’équipe ont ainsi  détecté des différences significatives entre les données physiques et biogéochimiques relevées, certaines d’entre elles se révélant parfois incompatibles entre elles. Pour expliquer ces résultats contradictoires, les chercheurs ont conclu que le bassin concerné était sujet à des hétérogénéités au sein du sol, des couches géologiques et de sédiments du lit de la rivière. Et ces hétérogénéités, jusque-là non détectées, ont influencé l’évolution des différentes mesures chimiques et physiques, pour en arriver à des résultats contradictoires.

Dès lors, les chercheurs se sont retrouvés face à une question : comment déterminer et mesurer ces hétérogénéités afin de les prendre en compte dans le modèle numérique ? Pour répondre à cette interrogation, les scientifiques des Mines ParisTech ont fait appel à des géophysiciens du laboratoire METIS de Sorbonne Université, également membre du PIREN-Seine. Ces scientifiques, spécialistes des méthodes de prospection du sous-sol, ont apporté leur aide et leur expertise pour mieux caractériser la zone non-saturée* du bassin du Ru des Avenelles.

Les géophysiciens de METIS sont équipés dans le cadre de l’equipex CRITEX, projet qui a pour objectif de fournir un support matériel aux laboratoires qui mènent des recherches sur la zone critique**. Grâce à cet équipement, les scientifiques ont pu développer une méthode de caractérisation du sous-sol particulière : la sismique time-lapse. Cette méthodologie fait ainsi l’objet d’une thèse, encadrée par Ludovic Bodet, et qui sera soutenue en 2018 par la doctorante Marine Dangeard.

 

 

                     

Les capteurs installés de part et d'autre de la rivière.

 

Le principe de cette méthode est d’installer des capteurs sismiques en ligne droite, perpendiculairement eu Ru des Avenelles, et d’émettre un choc en percutant au marteau une plaque de métal posée à même le sol à intervalles réguliers. Des ondes sismiques générées par ce choc se propagent alors dans le milieu, et sont ensuite enregistrées par les différents capteurs. Selon les caractéristiques du milieu traversé, les ondes vont atteindre les capteurs avec un certain angle et une certaine vitesse, et vont pouvoir indiquer la saturation en eau du sol, et ainsi permettre de mieux comprendre l’état hydrogéologique du milieu à plusieurs mètres de profondeur. Pour obtenir un résultat complet, l’expérience est reproduite un grand nombre de fois, tous les 25 cm, sur une longueur de 25 mètres de chaque côté de la rivière.


L'installation s'étend sur 25 mètres, perpendiculairement à la rivère

 


Les chercheurs effectuent 6 percussions sur une plaque métallique,
tous les 25 cm, sur environ 25 mètres, et sur chaque rive,
pour un total de près de 1200 coups de marteau ! 

 

 

 

La mise en place du matériel sur le terrain et les mesures prennent plusieurs heures. Les dernières acquisitions, effectuées en août 2017, ont été filmées et montées en time-lapse : 4 h de travail, résumées en 20 secondes.

 

Les géophysiciens ont mené ces expériences tous les 2 mois entre février et août 2017, dans le but d’étudier l’évolution de la zone non saturée à travers différentes saisons. C'est pour cette raison que cette méthode est qualifiée de "time-lapse". Elle permet, mois après mois, de tracer une carte des hétérogénéités de teneur en eau du sol et de leur évolution saisonnière. Pendant toute cette période, les deux équipes du PIREN-Seine sont resté en contact permanent.

L’analyse des résultats obtenus révèlent effectivement des variations importantes de saturation en eau du milieu. Ces expériences ont notamment révélé que, d’une berge à l’autre, il pouvait exister des différences majeures de la saturation en eau du milieu. D’autres mesures en résistivité électrique ont également confirmé la présence de fortes hétérogénéités de faciès à l'échelle locale et plus particulièrement sur la rive gauche du Ru des Avenelles. Les chercheurs ont pu mettre les informations récoltées et analysées sous forme de "coupes" du sol, permettant de bien visualiser l'importance de ces hétérogénéités.


Les « coupes » obtenues par la méthode sismique, à deux mois d’intervalle. Le coefficient de poisson est un indicateur de la saturation en eau du sol : plus sa valeur est proche de 0,5 (tons bleus), plus le sol est supposé être saturé en eau. 
La berge gauche apparaît ainsi bien plus hétérogène que la berge droite.

 

 


La coupe obtenue par les expériences de résistivité électrique, qui montrent là aussi une hétérogénéité de faciès marquée du milieu sur la berge gauche.

 

D’autres études dans ce sens pourront permettre à terme de caractériser toujours plus finement les mécanismes hydrodynamiques qui sont à l’œuvre dans la zone critique. Et cette méthodologie de sismique time-lapse, une première en France pour étudier ce type de milieu, semble prometteuse pour avancer la compréhension de ces mécanismes.

Mais au-delà de l’aspect purement scientifique de cette étude, celle-ci révèle que le PIREN-Seine est avant tout un espace de coopération, facilitant les échanges entre différentes équipes de recherches. Sur le Ru des Avenelles, les hydrologues des MINES ParisTech et les géophysiciens de Sorbonne Université ont collaboré pour affiner leur compréhension de la zone critique. Le programme permet de développer ces espaces de discussion, et de mettre en relation directe des chercheurs d’établissements différents, pour qu’ils conjuguent leurs moyens au service de la découverte et la construction de nouveaux savoirs.

 

*zone non-saturée: zone du sol où s’infiltre l’eau de pluie, se situant entre la surface et la nappe phréatique, qui se trouve à une plus grande profondeur.

**La zone critique correspond à la fine pellicule à la surface de la Terre. Caractérisée par la présence de vie, elle concentre la plupart des activités humaines et est donc soumise à des problèmes de risques et d’impacts. C’est le lieu principal des ressources biologiques, hydrologiques et géologiques.

 

Pour aller plus loin :

Cette étude a fait l'objet d'une présentation lors du colloque de restitution de 2017. Vous pouvez retrouver le résumé ici.

Retrouvez le rapport scientifique associé à cette étude.

Pour accéder aux photos de terrain, vous pouvez consulter notre médiathèque

Le site de CRITEX : https://www.critex.fr

Les équipes :

Géosciences - MINES ParisTech

METIS - Sorbonne Université