L’éviction du compostage des ordures ménagères et la fin de leur recyclage agricole en France et en Ile-de-France (1940-1990) : le rôle de la

Auteur.e.s

Etienne Dufour, Sabine Barles

Université

Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, Ville de Paris

DOI
https://doi.org/10.26047/PIREN.rapp.ann.2021.vol23

Résumé
A la suite de travaux portant sur des périodes plus anciennes, l’histoire récente du traitement des ordures ménagères en France des années 1940 aux années 1990 révèle que l’abandon de leur recyclage agricole est un phénomène assez tardif. Après la Seconde Guerre mondiale et en même temps que sont posées les premières pierres de l’agriculture biologique dans le monde agricole, les techniques de récupération – envoi direct en culture ou compostage – connaissent un regain important. Ce n’est qu’après la seconde moitié des années 1970 que l’incinération et la mise en décharge s’imposent sans partage ou presque, verrouillant au passage le système technique de gestion des ordures dans la voie de la destruction de la matière organique plutôt que de son recyclage à grande échelle. A partir d’une recherche doctorale en cours en écologie territoriale et en histoire de l’aménagement et de l’environnement et portant sur l’histoire de la fin de cette valorisation agricole des ordures à Paris et en Ile-de-France, nous interrogeons la place des « processus de valorisation » dans cette trajectoire sociotechnique : comment, sur les plans agronomiques et monétaires, les composts d’ordures ménagères ont-ils été valorisés et dévalorisés ? En quoi ces processus de valorisation, largement appuyés sur les discours technoscientifiques et sur le pouvoir normalisateur et prescripteur de l’État, ont-ils servi à promouvoir (instituer) puis, de manière ambivalente, à évincer et invisibiliser (destituer) le compostage comme technique de traitement et de récupération ? Le matériau historique mobilisé comprend des archives institutionnelles et de services techniques départementaux et régionaux et des archives techno-scientifiques issues de revues techniques spécialisées. A partir de ce dernier, nous éclairons les luttes véridictionnelles autour de la définition de la valeur des ordures ménagères. Leur valeur agronomique doit sans cesse être défendue et reconstruite pour ne pas être effacée face à celle des engrais de synthèse dont les normes et l’utilisation s’imposent par ailleurs dans le monde agricole des dites « Trente Glorieuses ». Cette perspective historique permet de révéler le poids des discours scientifiques passés et actuels ainsi que celui des normes législatives dans la mesure où elles se trouvent au fondement des formes de valorisation – et donc de la valeur – des ordures et, ce faisant, orientent la manière dont on les gère, hier comme aujourd’hui. In fine, il est possible que la forme de valorisation marchande associée à une normalisation techno-scientifique de plus en plus poussée du produit qu’est le compost d’ordures ménagères ait finit par priver celui-ci de sa qualité d’engrais d’un point de vue économique. Avec d’autres facteurs, cela contribue à raréfier l’usage et le recyclage agricoles des ordures.


Points clefs
✓ Dans l’après-guerre, le recyclage agricole des ordures ménagères connait un regain éphémère en France et en Ile-de-France au travers du compostage industriel.
✓ La pérennité de cette nouvelle industrie est conditionnée, entre autres, à l’intégration économique des composts d’ordures ménagères au sein du marché des matières fertilisantes.
✓ La solution trouvée – la normalisation des composts sous une forme alternative à celle des engrais – pourrait avoir plus accompagné l’abandon de leur usage que renforcé celui-ci.

etienne-dufour@orange.fr

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